Jimi Hendrix - Frank Zappa - Larry Corryell - John McLaughlin

By Georges Locatelli

Jazz Hot, May 1972


Je suis né le 2 août 1941 à Paris d'un père maçon italien (bergamasque) et mère française. Pas de tradition musicale dans la famille. A dix ans je découvre en même temps Django, Montand, Trénet. Première guitare à quatorze ans parce que Brassens mais entre temps prise de contact avec Charlie Parker à la radio. Pour mon malheur, je vole un disque de Jimmy Rancy (Live Paris) parce qu'il y avait une guitare sur la pochette et je resterai accroché longtemps avec lui.

Première formation à dix-sept ans avec Henri Texier (on était dans le même lycée) et Alain Tabar-Nouval; puis différents groupes avec Piere-Alain Dahan, Jean-Claude Petit, Jacques Thollot, Klaus Hagh, Jean-Max Albert. Je termine mes études, me marie, disparais à l'armée, réapparais en 65 en bœufs plus ou moins épais et remplacements dont les plus mémorables avec Eddy Louiss. Joue dans le trio de Joachim Kuhn. En 69 la fréquence saccentue pour jouer dans le quartette de Jacques Thollot avec Pierre Chaze et Michel Grailler. En 70, après un passage avec J.-L. Ponty, je quitte mon travail pour former avec Aldo Romano et Henri Texier Total Issue.

Guitaristes préférés : Django, J. Raney, J. Hall, René Thomas, Montgomery, J. McLaughlin, J. Hendrix, F. Zappa.

EN PASSANT PAR LA...

Si j'ai choisi ces quatre guitaristes, oubliant volontairement des musiciens tels qu'Eric Clapton, Jeff Beck, Sonny Sharrock... c'est parce qu'ils sont je pense les plus représentatifs des cinq dernières années tant sur le plan musical pur, c'est-à-dire technique, que dans le contexte politique et social dans lequel nous vivons et qui est traduit sciemment ou inconsciemment dans leur musique puisque tous quatre sont compositeurs.

Jimi Hendrix est mort en septembre 1970 à l'âge de vingt-quatre ans ! Depuis deux ans bientôt. De l'homme, de la musique, de l'histoire, tout a été dit, raconté, exploité. Noir américain de Seattle, influencé par Chuck Berry, Muddy Waters et le blues en général dans la bonne tradition, ce qui comptait le plus pour lui, c'était la musique et la guitare. A ce propos d'ailleurs, il en possédait au moins une dizaine dont les fameuses Fender Stratocaster trafiquées (cordes, manche, micros...) et aussi une Gibson Flying Angel. Indépendamment de l'audition en direct qui est intraduisible, la première chose qui frappe chez Hendrix c'est le time et le son. Bien sûr il avait un électronicien de génie qui lui préparait des boites magiques, mais ces boîtes, tout le monde peut les acheter et le génie n'est pas là pour autant, car avant tout il y a la pratique, le travail, l'apprentissage, et avant tout, la guitare c'est surtout un manche. De même qu'il n'y a rien « à comprendre » dans la technique de Django, de même celle d'Hendrix, gaucher, est déroutante. Rien que le vibrato naturel produit par le mouvement de la main est unique et la première fois que vous l'entendez, c'est comme une vrille qui va vous toucher le fond du cœur. Alors imaginez un peu en direct, avec pour lui tout seul deux (trois ou quatre) amplis de 100 W chacun (Sound City ou Marshall) avec lesquels il « joue », exploitant toutes leurs possibilités techniques, allant même jusqu'au délire de destruction ! Quoi de plus super free ? Ajoutez à cela qu'il chante (et bien) et ce qu'il chante n'a rien à voir avec ce qu'il joue (dans la mise en place des paroles qui est très en l'air) et que tout ça n'a rien à voir avec ce qu'il fait sur scène, le show !

Toute sa vie aura été celle de sa musique, une expérience ; et si certains ne voient en lui qu'un pantin érotique gesticulant, si d'autres n'entendent que du bruit et d'autres encore un quelconque chanteur, c'est qu'ils n'ont pas compris le plus génial ménestrel de notre époque, celui qui faisait « chanter » sa guitare comme personne.

Zappa, c'est autre chose. D'abord c'est un super-guitariste et un compositeur fantastique et réciproquement. Si les critiques ont mis du temps à reconnaître le premier au grand humour de Zappa qui déclarait « Je ne suis pas un guitariste », à la disparition d'Hendrix, on s'est tout de même aperçu de ses qualités de guitariste. Alors qu'Hendrix vivait son rêve, Zappa, lui, raconte les siens en y ajoutant la critique acide et percutante. Son œil voit tout, son oreille entend tout ; il enregistre tout ça dans son cerveau et il en ressort les « Mother's of Invention ». Et la guitare dans tout ça? Et bien elle figure dans la composition, soit dans l'orchestration, en soliste, soit improvisée, mais de toute façon elle est intimement liée à l'ensemble, ce qui n'est pas étonnant puisque Zappa écrit tous les arrangements.

La guitare, il la connaît de haut en bas et de gauche à droite, la troisième dimensior étant l'amplificateur. Il possède, lui aussi, plusieurs instruments, les plus fréquemment utilisés étant une Gibson Stéréo 355 TD-SV avec un « varitone » non pas d'octave, mais c'est un filtre qui agit sur les micros, donnant un son de plus en plus sec et aigu. Il joue aussi sur une Gibson standard. Comme ampli, baffle Marshall, baffle Vox et trafic de tête, en général 80 W Marshall. Enfin, comme les meilleurs, Zappa est reconnaissable à la premiere écoute car le son n'est pas seulement fonction des réglages de l'ampli et du matériel mais aussi de la main gauche pour le toucher et l'articulation du doigté et de la main droite pour l'attaque. Sa technique de guitare? Suffisamment complète pour jouer sa musique. Sa démarche harmonique ? Ce n'est pas celle des standards, mais c'est de tout, de la chanson, de l'opéra, du blues, du jazz, du free, de la pop. C'est tellement dans l'époque et la société américaine que cela paraît hors époque. C'est comme ça lorsque l'on est trop lucide.

Actuellement la différence d'influence entre Zappa, Hendrix, Corryell, McLaughlin, est plus mince qu'il y a cinq ans entre René Thomas, Wes Montgomery d'un côté et Eric Clapton, Jimi Hendrix de l'autre. Autre temps? Autre époque? Autre génération?

Ce ne sont pas les guitaristes de pop qui ont fait un retour car eux avaient entamé leur époque et la vivaient. Il ne s'agit pas non plus de verser des larmes, ni de renier qu ou quoi que ce soit. Ou l'on reste chez soi à écouter ses vieux disques, ou l'on écoute tout ce qui se passe, et qui n'est pas forcément neuf. Si l'ère de la guitare électrique est sur sa fin, vive la guitare électronique. Pour certains ce n'est plus de la guitare! En fait, c'est beaucoup plus difficile à contrôler, doser, en un mot, à i,ouer. Maintenant pour les effets, la première distorsion, c'est Armstrong qui l'avait dans la voix, quant à l'effet wha-wha, Ellington connaît ça depuis... ? Alors rien de nouveau sous le soleil. A propos de wha-wha et autres pédales de distorsion, il faut signaler qu'Hendrix et Zappa en sont les deux « spécialistes ». Je ne cherche pas à vous convaincre mais écoutez quand même.

Coryell et McLaughlin sont sûrement plus connus de vous, lecteurs de « Jazz Hot», car ce sont deux jazzmen qui doivent quand même poser certains problèmes aux puristes. Je ne les dissocierais point car leurs démarches sont parallèles bien qu'opposées au départ. Corryell, influencé par la pop music de la côte Ouest, est venu au jazz via Chico Hamilton et Gary Burton pour évoluer dans ce milieu jazz-pop (ex. : dernier festival de Nice avec Mitch Mitchell et Jack Bruce, ex-batteur de Hendrix et ex-bassiste de « cream » avec Clapton), alors que Mc Laughlin, anglais, branché sur le jazz, est attiré par la pop et ses modes et évolue dans le même contexte (disque avec Buddy Miles, dernier batteur d'Hendrix). Ce qui a longtemps caractérisé les guitaristes de jazz, c'est !eur technique : précision, time, rapidité, passage des harmonies, le tout étant lié par leur personnalité et leur originalité.

Ce qui est intéressant chez ces deux guitaristes, c'est, en plus de ça, l'ouverture vers le son ; une certaine recherche s'est faite. Utilisation sans délié de l'électronique mais efficace dans l'esprit recherché. Si Corryell joue une Super 400 Gibson, je crois que Mc Laughlin joue, « Les Paul » Gibson ainsi qu'une Burns? Ou strato? Trafiquée? Car le son que l'on recherche est fonction de ce trafic : changement de micros d'origine, prise directe aux micros sans passer par les potentiomètres, vibrato à main, saturateurs pour prolonger la durée de tenue des notes, dosage du larsen (à un certain régime les cordes de la guitare placées devant l'ampli vibrent et entrent en résonance plus ou moins continue selon l'orientation) et sans parler des cordes, qui vont des bâtons aux fils de toile d'araignée et qui ont toutes un son différent!

Pour moi, Corryell et Mc Laughlin sont deux super techniciens, le second plus inspiré, plus original et plus sincère. Je pense qu'ils doivent beaucoup à l'apport des guitaristes pop, notamment dans l'utilisation de certains « trucs » exploités avec un doigté original sur les harmonies à la mode (accords de quartes) et en les adaptant au rythme binaire avec vibrato, distorsion et pédale wha-wha.

Mais par dessus tout, ce sont tous des amoureux de la guitare, qu'elle soit en bois, en fer, ou en carton, électrique, électronique ou classique, peu importe seul compte l'amour qu'on y apporte.

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