Zappa!

By Rolf-Ulrich Kaiser

Actuel, January 1970


« Mothers of Invention » : La formation Pop la plus populaire. Son fondateur, et aussi son leader, son manager et son compositeur, fut tout d'abord connu en Europe grâce à une photo parue dans l' « International Times » ; cette photo présentait Zappa sur une lunette de W.-C. De judicieux businessmen en firent un poster qui fut vendu à des milliers d'exemplaires dans toute l'Europe. Lorsque Zappa arriva en Europe, on fut surpris : on s'attendait à la terreur de la bourgeoisie. Ce n'est qu'un chef d'orchestre conscient et avisé que l'on rencontre ; de plus, ses compositions semblent être géniales.

Zappa est le pilier de la nouvelle Pop Music, bien qu'il ne soit pas forcément représentatif sur le plan révolutionnaire, vis-à-vis, par exemple, des arrangements de Tuli Kupferberg ou de Ed Sanders.

Zappa agit avec tactique et diplomatie. C'est du moins l'étiquette qui lui fut attribuée par les extrêmistes de gauche lors de sa visite à Berlin en 1968 : ils déployèrent pendant le concert une banderole annonçant : « Mothers of Reaction ».

L'interview qui suit nous donnera quelques renseignements sur la position politique de Zappa, sur les rapports des musiciens Underground avec les maisons de disques, enfin sur ses propres recherches musicales. Cet enregistrement a été fait durant l'été 1968 à Hollywood, dans la maison que Zappa occupait alors : le « Tom Mix Palace ». Le palace de Tom Mix, construit à l'époque de ses films muets, était tombé en ruines et abritait une communauté hippie, ainsi que Frank Zappa et ses nombreux invités.

Vous m'avez dit un jour que cette région était celle où vivait le plus grand nombre de jeunes, et que leur but était d'y prendre le pouvoir.

En effet, ce serait bien, mais il manque toutefois quelqu'un capable de diriger cette masse de jeunes et qui ferait en sorte que les vieux ne puissent pas reprendre ce pays. Les vieux ne connaissent pas les problèmes des jeunes, et d'ailleurs ne s'y intéressent pas.

Est-ce une situation typiquement américaine ?

Non, ce problème concerne tous les pays. La jeunesse est restée trop longtemps aux mains des vieux. Mais il faut avouer que les jeunes, pour la plupart, ne sont pas prêts à prendre cette relève. Je n'imagine rien de plus grave qu'une Amérique ayant à sa tête un président de 18 ans. La jeunesse doit prendre le pouvoir, mais elle doit s'y préparer.

Comment ? Par la révolution ?

Certainement, si vous pensez à une tactique révolutionnaire. Aux U.S.A. c'est le chemin le plus rapide et le plus sûr pour changer les choses : une sorte de guérilla et d'infiltration. Mais je pense en tout cas qu'une insurrection sanglante ne mènerait nulle part.

Pourquoi pas ?

On est trop bien armé pour faire face à tout soulèvement. En cas de guérilla contre la police ou l'armée, vous n'avez guère de chances. Et ce n'est pas incendier quelques maisons qui changerait les choses. Le seul effet serait de se mettre à dos une grande partie de la population ; ceux qui ne se sentent pas concernés par la politique prendraient automatiquement position contre ces agitateurs. Les gens tiennent à leur sécurité.

Alors, quelle tactique préconisez-vous ?

La meilleure façon de mettre de l'ordre dans les affaires américaines serait de prendre la place des vieux actuellement en fonction. Mais alors, dans 20 ans, une nouvelle génération devra vous remplacer dans votre travail ? Sans doute, mais je ne vois pas d'autre solution. Il faudra bien qu'un jour, le système change radicalement, qu'enfin la majorité de la population soit représentée au gouvernement. Jusqu'à présent, aux U.S.A., le pouvoir est tenu par des gens d'un certain âge, et d'une certaine classe sociale, qui ne représentent absolument pas l'opinion de la classe moyenne.

Votre travail est-il un exemple de cette prise de pouvoir ?

Nous voulons contribuer à ce que les gens acquièrent une conscience politique. La majorité des jeunes américains ne pense pas à la politique. Ils ont trop de temps libre. Et quoiqu'ils fassent ; tout revient à « Have a good time ». Ce serait déjà bien si nous pouvions les amener à réfléchir.

Dans votre musique, vous mélangez de nombreuses influences. Pouvez-vous les différencier ?

Tout ce que nous avons enregistré dans notre premier album est une recherche ayant pour but de rendre une musique expérimentale accessible aux jeunes, avec lesquels il n'y a généralement pas de contact.

C'ést-à-dire ?

Tous ces jeunes Américains qui écoutent de Pop Music n'ont en général jamais eu l'occasion de voir un orchestre, si ce n'est sur un écran de télévision, 45 cm de large, 35 cm de haut, et dans la grisaille. Ils ne connaissent ni orchestre, ni jazz, ni musique authentique. Ils ne connaissent que le Rock' n' Roll. C'est pourquoi, en combinant la musique authentique, le jazz, un certain langage théâtral surréaliste, et en transposant le tout sur un thème de Rock' n' Roll, nous avons la possibilité de donner une foule de nouvelles informations.

Comment s'est passée l'expérience ?

Elle a été effectivement probante. Depuis que nous avons combiné le Rock et la musique électronique, la vente de disques de musique électronique est en hausse. Nos disques aussi se vendent bien. Les gens achètent ces disques parce que des questions y sont posées. Ils attendent qu'on les questionne. Beaucoup ne se contentent pas d'un simple accord de guitare rabâché et bruyant.

Est-ce que la popularité de la musique électronique est une conséquence du succès des Mothers ?

Non, on ne peut pas dire ça. Mais avant notre disque « Freak Out », il n'y avait pas, aux U.S.A. de véritable musique expérimentale, de musique dite psychédélique. Nous avons été le premier groupe qui ait enregistré des effets électroniques avec la Pop Music. Depuis, bien d'autres groupes ont fait les mêmes expériences, et cela a contribué à faire connaître la musique électronique.

Dans quelle mesure cette musique vous a-telle influencé ?

Je possède beaucoup de disques de musique électronique. Je n'en supporte pas beaucoup. Ils sont pour la plupart véritablement mauvais et sans valeur. Il faut s'y connaître pour bien produire la musique électronique. Tout d'abord, la technique est très importante. Mais il n'y a pas beaucoup de studios équipés dans ce sens, et peu d'entre eux sont à la hauteur. D'autre part, ils ne sont que rarement accessibles aux intéressés. Par exemple, je ne pourrais jamais aller dans un studio de Stockholm ou de Paris ; même si j'y trouvais un quelconque intérêt.

V a-t-il tout de même des compositeurs qui vous ont influencé ?

Sans doute Stravinsky, Stockhausen et quelques autres. Mais au fond, surtout Edgar Varèse.

Quand avez-vous eu des contacts avec lui ?

A quatorze ans, j'ai eu en main un album assez mal réalisé : le volume I des œuvres d'Edgar Varèse. Quatre des compositions m'ont tout de suite enthousiasmé. Je n'avais jamais rien entendu de semblable. C'est une musique extraordinaire. L'importance d'Edgar Varèse n'a pas encore été reconnue totalement, mais c'est pourtant l'un des plus grands génies de notre temps.

Vous avez pu faire sa connaissance ?

J'ai tout fait pour cela. A quinze ans, ma mère me donna cinq dollars pour mon anniversaire. Nous habitions déjà en Californie. J'employais les cinq dollars pour téléphoner à New York. La femme d'Edgar Varèse me répondit qu'il était à Bruxelles et que je pouvais rappeler deux semaines après. Quand je réussis à le joindre, je lui dis que j'appréciais beaucoup sa musique. Il a dû trouver ça un peu bizarre, mais il était très gentil.

Vous l'avez rencontré par la suite ?

Il m'invita à passer le voir à New York si par hasard j'y allais. A dix-huit ans, comme je devais aller visiter de la famille sur la Côte Ouest, à Baltimore, je lui demandai une entrevue, mais il se décommanda : une fois de plus, il devait se rendre à Bruxelles. A mon passage, suivant sur la Côte Ouest, Edgar Varèse venait de mourir.

Avez-vous été très influencé par Edgar Varèse ?

Je possède presque tous les disques disponibles. C'est pour moi le compositeur moderne idéal. J'admire en particulier l'énergie qui lui permit de créer cette musique il y a déjà trente ou quarante ans. Sa façon de composer est tout simplement unique.

Où peut-on voir clairement son influence ?

Dans certaines parties de mon disque « Lumpy Gravy »; la deuxième face est très caractéristique : la plupart des accords sont en 7 majeure ou en 9 mineure et l'ensemble d'un rythme très complexe. Malheureusement, l'enregistrement n'est pas très bon.

Pourquoi ?

Nous avons eu beaucoup de problèmes pour cet enregistrement: nous n'avons pas eu le temps de répéter avec l'orchestre du studio que j'avais à ma disposition. Bien que cette musique soit très difficile, les musiciens ne travaillèrent que très brièvement et ne répétèrent que trois ou quatre fois. Le rythme n'était pas suivi et l'ingénieur du son qui n'avait jamais enregistré d'orchestre symphonique, ne savait pas très bien comment s'y prendre.

Avez-vous l'intention de refaire de la musique « sérieuse » avec votre groupe ?

Oui, nous y travaillons depuis l'année dernière.

Envisagez-vous de collaborer encore avec des orchestres symphoniques ?

Nous voulons réaliser un concert et un disque avec le « Los Angeles Philharmonie Orchestra ».

Ceci n'est qu'une partie de la musique des Mothers of Invention. Ce qui est important pour votre popularité, est-ce le Rock'n'Roll ?

En effet.

Avez-vous été influencé par le Rock'n'Roll ?

Pas tellement. Davantage par le Rythm and Blues ; par exemple, Muddy Waters.

Avez-vous beaucoup de disques de Blues ?

Oui, environ 800 45 tours, 100 78 tours et à peu près 100 33 tours.

A quel genre de jazz vous intéressez-vous ?

John Coltrane.

Et pour le texte ?

Certaines de mes chansons sont simplement des sortes de comédies qui n'ont rien à voir avec la situation sociale ou politique. Par contre, d'autres textes sont politiques ou encore surréalistes.

Ecrivez-vous tous les textes vous-même ?

Oui.

Avez-vous été influencé pour écrire ces textes ?

Indirectement peut-être. Toutefois ceci est une expérience personnelle et il faudrait la considérer comme telle.

Avant de monter sur scène, vous vous préparez pour votre show, vous nouez vos cheveux ...

Bien sûr ; c'est indispensable. Il y a une grosse différence entre un enregistrement et un show. Ce sont deux expressions différentes. Le public a aussi besoin de l'expérience visuelle. Il doit y trouver une distraction puisque nous-mêmes, nous nous distrayons. Nous prenons plaisir à jouer sur scène. Nous nous amusons, nous blaguons et nous en rions. Et quelquefois, les spectateurs ne nous suivent plus.

Dans quelle mesure improvisez-vous votre show ?

A peu près à 70 %. Le reste est un squelette minutieusement préparé, sur lequel s'oriente l'improvisation.

Vous ne faites pas seulement la musique et les textes. Vous ne dirigez pas seulement le groupe, vous vous occupez aussi de la diffusion de votre musique.

Oui, chez nous, tout est un peu différent. Nous avions Herb Cohen comme manager. Mais, dépassé par la Pop Music, il eut des difficultés pour placer notre musique. Personne auparavant n'avait rien entendu de pareil et personne, ne pouvait donc la vendre.

Quelles sont vos idées à ce propos ?

Un groupe tel que le nôtre ne peut être vendu comme un groupe conventionnel de Rock. Au début, je m'occupais du planning et du matériel, ensuite nous avons tout fait nous-mêmes.

Comment ?

Généralement, on vend les groupes de Rock grâce à des slogans tels que « Le plus grand et le plus fantastique groupe de Rock entendu jusqu'à maintenant » – «Les nouveaux Beatles » – «Les nouveaux Rolling Stones ». Lorsque les Mothers débutèrent, leur musique n'était pas particulièrement bonne, et beaucoup de gens la trouvaient très mauvaise ; ils ne comprenaient pas ce que nous faisions, ils nous en voulaient pour les textes qui les attaquaient en même temps que le gouvernement. Ils essayèrent donc de nous ignorer. Mais nous leur avons toujours rappelé notre existence.

Quand nos premiers disques furent vendus, il y avait des gens qui venaient à nos concerts pour se moquer de nous. Ils se sont vite rendu compte qu'ils était difficile de nous provoquer et que les premiers excédés, c'était eux.

Comment se passait la publicité de vos disques ?

Depuis un an et demi, nous nous occupons de réaliser et de distribuer la publicité de nos disques. La publicité que nous avions auparavant était très mal faite, elle était démodée et s'adressait à un mauvais public.

Dans quelles revues faites-vous votre promotion ?

Surtout dans la presse Underground. Les Mothers et l'Underground ont plus ou moins grandi ensemble. Nous avons réussi à convaincre les maisons de disques d'y faire paraître notre publicité. D'autres maisons de disques ont fait de même, et c'est en partie pour cela que l'Underground marche si bien.

Quelles compagnies représentent les Mothers à présent ?

Actuellement, je possède la société qui s'appelle « Intercontinental Absurdities ». I.A. possède les Mothers et N.T. & B., la société de publicité. Il y a encore les productions « Bizarre ». Herb Cohen et moi sommes associés. Nous possédons encore d'autres petites marques de disques.

Vous voulez aussi produire des disques ?

« Bizarre » doit dès maintenant produire et éditer les disques des Mothers.

D'autres groupes sortiront-ils sous cette même étiquette ?

Oui, de nombreux. D'ailleurs, nous voudrions diffuser aussi les musiciens contemporains. Je vais essayer avec certaines musiques, passées inaperçues jusqu'à maintenant. Des musiques auxquelles les grands pontes du disque ne donnent aucune chance. Ils auront des surprises !

Pensez-vous obtenir du succès avec ces expériences ?

Je le crois, en effet. Je pense souvent qu'au cours de mes études terminales, j'ai lu dans les livres d'histoire de la musique bien des choses intéressantes sur des compositeurs qui sont pourtant à peine connus aujourd'hui. Ma formation est restée très incomplète.

Deviendrez-vous, grâce à votre compagnie de disques, totalement indépendant du Show Business ?

Dans une certaine mesure, nous serons obligés de travailler avec l'industrie de la musique; ce qui ne veut pas dire que nous reprendrons leur tactique. Sinon, nous n'arriverions jamais à mettre nos produits sur le marché. Mais la froideur d'un homme d'affaires n'est pas toujours nécessaire.

Vous voulez dire que chez vous, tout se passe autrement ?

Oui.

Comment sont payés les associés des Mothers of Invention ?

Ils reçoivent une avance de 200 dollars par semaine. Ce qui leur permet d'avoir un revenu régulier, bien que les gains ne le soient pas toujours.

Comment êtes-vous arrivés aux Mothers of Invention ?

Hum ! ... Il y a longtemps, au lycée, je fréquentais le trompettiste que nous avons aujourd'hui, et un autre ami qui dirige maintenant le groupe du Captain Beefheart. Souvent nous nous demandions ce que nous ferions par la suite. Nos études terminées, nous avons été séparés, mais, par une étrange coincidence, nous nous sommes tous retrouvés. Mais nous ne savions toujours pas ce qu'il fallait faire. Un jour, on en a eu marre. Entretemps, d'autres types s'étaient réunis pour monter un orchestre : le groupe « Soul Giants ». Roy, notre bassiste, et Ian [Jimmy?] y jouaient. Mais l'un après l'autre, ils quittèrent ce groupe et ils vinrent me voir pour me demander de jouer avec eux. Nous avons monté notre groupe et nous avons joué dans le bar où se produisaient les « Soul Giants ». Comme nous avions de plus en plus d'auditeurs, je proposai de rester ensemble et de travailler quelque chose d'original pour enfin percer. Nous avons rencontré les coups durs, cela pendant un an.

Après, nous avons enregistré « Freak Out ». Puis ce fut de nouveau la famine jusqu'au début de cette année. Nous pouvons maintenant manger à notre faim et vivre relativement confortablement. Chacun a sa maison, sa voiture, sa femme ou sa petite amie. Everything's O.K. ! ...

Combien de disques avez-vous vendus jusqu'à présents ?

C'est difficile à dire ; nous n'avons pas de relevé exact; mais ce doit être environ 800 000, y compris les albums.

Maintenant, vous avez réalisé votre propre disque : « Lumpy Gravy ».

Ça a été une drôle d'histoire pour faire ce disque. J'avais onze jours pour l'écrire. J'ai utilisé tous les thèmes que j'avais écrit les années précédentes et je les ai arrangés symphoniquement. Une fois la partie symphonique enregistrée, j'ai rajouté les paroles quelques mois plus tard.

Pour qui deviez-vous faire ce disque ?

« Capitol Records » me l'avait commandé.

Comment se fait-il que ce soit MGM qui l'ait produit ?

Nous avons eu des problèmes juridiques avec « Capitol Records » après l'enregistrement. MGM leur a ensuite racheté la bande.

Pour permettre aux Mothers de poursuivre leur programme ?

Certainement pas, parce qu'ils appréciaient la musique ou parce qu'ils m'aimaient bien. Ils voulaient seulement tout avoir pour eux.

Avez-vous été censuré par MGM ?

Quelquefois. Mais la question n'est plus là, nous produisons maintenant nos disques nous mêmes, et nous n'avons plus besoin de travailler avec MGM.

Pouvez-vous me donner des exemples de censure ?

Ils coupaient certains passages des chansons sans me prévenir. Un de ces passages disait : « Je me souviens toujours de Maman, avec son tablier, donnant à manger à tous les garçons et les filles, dans le café de Ed ». Je ne vois pas ce qu'ils ont trouvé de sale, mais cette phrase a été censurée.

Pourquoi refusaient-ils d'imprimer le texte de vos premières chansons sur la pochette ?

La partie juridique craignait de ne pas pouvoir se défendre si une quelconque mère de famille ou ménagère se plaignait, dans un magasin de disques, de ces textes.

Comment se faisait cette censure sur le plan pratique ?

Ils modifiaient le son de l'enregistrement de façon à ce que les mots ne soient plus compréhensibles.

Il n'y avait rien à faire ?

Une fois que je leur donne la bande enregistrée, je n'ai plus aucun pouvoir sur eux. Au cours du mixage ils peuvent facilement bricoler le son.

Ne pouvait-on faire intervenir un avocat ?

Un avocat coûte plusieurs milliers de dollars. Entretemps, de nombreux exemplaires de l'album sont vendus. Tous les acheteurs pourraient réclamer le disque non censuré. Ce serait une perte d'argent pour tout le monde. Finalement tout ceci serait ridicule.

Vos expériences avec la radio et la télévision américaine ?

La radio refuse généralement de passer nos disques. Il n'y a que quelques postes qui acceptent de passer nos chansons, et encore, seulement les plus courtes, ou même de simples extraits. D'ailleurs ils ne choisissent que les chansons qui ont fait leurs preuves et de préférence celles qui sont apolitiques. En un mot, tout ce qui a le moins de chances de réveiller les auditeurs. Pour la télévision, c'est presque pareil.

Etes-vous passés quelquefois à la télévision ?

Oui, deux ou trois fois.

De longues séquences ?

On nous donnait environ 6 minutes qui étaient retransmises en deux fois.

Donc pas de show, juste un coup d'œil ?

Exactement ; juste le temps qui permet aux téléspectateurs de voir les animaux du zoo. Ensuite ils passent les émissions qu'ils jugent intéressantes pour le public : rien que des conneries.

Ne pensez-vous pas alors à fonder votre propre chaine ?

Aux U.S.A. c'est très difficile : tout est surveillé de près par le gouvernement. En effet, cela est tentant, mais je me demande si l'affaire serait rentable.

La radio et la télévision donnent-elles des renseignements plus précis sur votre groupe depuis qu'il est devenu populaire ?

Il y a des pressions sur les émissions. Mais la vente de nos disques n'a aucun rapport avec la mauvaise volonté de la radio et de la télévision américaine. Nous sommes neutralisés au maximum.

Qu'ont-ils donc contre votre musique ?

Pensez aux responsables des stations américaines. Celles-ci appartiennent toutes aux businessmen de droite qui n'ont pas tellement tendance à être libéraux. Ils se méfient des idées neuves, de tout ce qui ne correspond pas à leur point de vue. C'est pour cela que le public ne nous voit pas.

Même quand ces idées ne sont pas particulièrement politiques ?

Bien sûr. Pour mieux garder le contrôle, ils maintiennent une barrière entre le public et ces idées. Dans nos chansons nous parlons d'un fonctionnaire, en partie responsable des lois définissant notre société, qui a essayé de coucher avec sa fille de treize ans ; il est évident que ces chansons ne passent pas. D'autres exemples : personne ne doit entendre les chansons parlant des rapports sexuels entre jeunes gens, ou de tout autre chose ne correspondant pas à la morale de !'Américain moyen. Une station du Texas a déjà renvoyé un de nos disques avec une lettre terrible affirmant que cette cochonnerie ne devait pas être entendue aux U.S.A.

Pourquoi les Mothers of Invention parlent-ils si souvent de frustration sexuelle ?

Je pense que c'est la base de tout ce qu'il y a de mauvais aux Etats-Unis. Vous savez, les deux forces les plus importantes sont la frustration et le désir. Dans les films américains, la violence remplace le sexe. Lorsque sur un écran, on se bat, on se tue, on se torture et se mutile, cela réjouit le spectateur auquel on ne permet pas de faire l'amour. La violence est permise. Tout ce qui est sexuel est dégoûtant.

Propos recuelllls par Rolf-Ulrich Kaiser.

(SUITE DANS LE PROCHAIN NUMERO)