L'aigle des meres

By Jean-Marc Bailleux

Rock & Folk, February 1978


Prétendu musicien, mé(ga)lomane pervers, l'accusé s'est acharné pendant plus de dix années à saper les fondements de notre société libérale avancée, tournant en dérision toutes les valeurs morales sur lesquelles repose ladite société...

Mais qui donc est ce Ruben Sano, accusé d'avoir violé deux fillettes de treize et quatorze ans sous l'oeil effaré de leur propre père, un confiseur répondant au nom de Raymond Barril? Puis, poursuivi par la police française, d'avoir occupé pendant trois jours le Pavillon de Paris, retenant plusieurs milliers de personnes en otages, menaçant de transformer l'endroit en abattoirs et réclamant un Concorde et une classe du couvent des Oiseaux avec lesquels fuir à l'étranger?

C'est ce que nous avons voulu démêler en assistant au procès de l'homme finalement arrêté et qui répond aujourd'hui de ses crimes. Les pages qui suivent résument les minutes d'audiences houleuses qui furent constamment perturbées par des manifestations de tout poil. A l'heure où nous devions mettre sous presse, le Procureur avait terminé son réquisitoire. Quant à la plaidoierie de l'avocat de la défense, elle avait été interrompue par l'irruption soudaine d'un groupe de manifestants du F.H.A.R. et du R.P.R. unis dans un même combat [1]. La séance a été levée et l'audience suspendue jusqu'au 6 février 1978.

PREMEDITATION

Le Procureur de la République, récemment muté à Paris en provenance de cette bonne vieille ville de Tours dont la réputation de haute moralité n'est plus à faire, avait attentivement étudié le dossier d'instruction et n'omit aucun détail susceptible de charger l'accusé. Il rappela à l'assistance les faits et leur voie (de fait), puis dressa un portrait de l'accusé. Son identité incertaine: de son vrai nom Francis Vincent Zappa, mais se faisant tour à tour appeler Ruben Sano, Larry The Dwarf, Cletus Awreetus Awrightus ... Ses activités troubles dans le monde de la musique, du cinéma, de la haute finance et du « business » (mot qu'il prononça d'ailleurs du bout des lèvres, non sans dégoût). Sur la fortune du prévenu, il émit l'hypothèse qu'elle pourrait bien avoir pour origine une escroquerie commerciale à grande échelle aux dépens d'adolescents crédules qui auraient payé des sommes astronomiques (prix à la discrétion de la clientèle, minimum UN dollar)pour se procurer le livret de son opérette à scandale « Absolutely Free » (1967); magot qui lui aurait permis de fonder sa première entreprise financière, la Frank Zappa Music, pierre angulaire d'un édifice colossal qui comprend aujourd'hui les sociétés Bizarre Records, Straight Productions, DiscReet Records et Munchkin Music Co. Il en conclut qu'une telle ascension ne pouvait être innocente, et qu'en plus d'un esprit retors l'homme devait faire preuve d'une grande circonspection et que tous ses actes ne pouvaient être que savamment prémédités. Ce qui lui enlevait le bénéfice des circonstances atténuantes.

Il en profita pour dévoiler quelques – unes des manœuvres conçues par Frank V. Zappa pour tromper le public: le camouflage des Mothers Of Invention sous le sobriquet de « Ruben & The Jets », chantant des chansons anodines et rétro dans un effort pour s'ouvrir indûment les portes des média (« Cruisin' With... » – 1968). Le remplissage par l'utilisation à plusieurs reprises, avec ou sans variante, sur des disques différents et avec des titres trompeurs, des mêmes thèmes – le procureur révéla ainsi que le « Daddy, Daddy, Daddy » de « 200 Motels » n'était autre que « Do You Like My New Car » du « Fillmore East » ( 1971 ), que plusieurs thèmes de « Chunga's Revenge » (1970) n'étaient que des brouillons du même « 200 Motels », que « Black Page » du nouveau « F.Z. In New York » (1978) comportait des réminiscences de l'époque où notre homme enregistrait simultanément « Uncle Meat » et « Cruisin' With Ruben & The Jets » au studio Apostolic de New York (1968) ou bien était – ce de « Lumpy Gravy », au même endroit quelques mois plus tôt? Prolixité suspecte quand on sait quelles difficultés certains artistes ont à produire leur album annuel et contractuel: Francis Vincent se prétend, lui, capable d'en faire quinze à l'année.

« Vrai ou faux, dans les deux cas, dira le Procureur, il est coupable : de mystification, ou bien de rétention d'informations. » A l'époque de « Hot Rats » ( 1969), après la dispersion des premières Mothers Of Invention, « the present-day composer », refusant de mourir, annonçait l'imminente sortie de trois triples à prix réduit, puis ce fut une souscription non avenue de douze LPs via la revue « Playboy ». Et aujourd'hui, le grand dramaturge nous rejoue la scène: il est question d'un coffret de quatre disques à sortir dans les mois qui viennent chez Mercury. Grâce à nos informateurs étrangers, nous sommes en mesure de dévoiler – sous réserve – les titres de plus de dix de ces documents d'archives, plus ou moins chronologiquement: « Before The Beginning », « The Cucamonga Era », « Show & Tell », « What Does lt Ali Mean ? », « Rustic Protusion », « Several Boogies », « The Merely Entertaining Mothers Of Invention Record », « The Heavy Business Record », « Soup & Old Clothes », « Hotel Dixie », « The Orange County Lumber Truck », plus des bandes des sessions d'« Apostrophe » (1974), du matériel de 197 5 pour grand orchestre et quelques morceaux choisis piratés, comble d'ironie, sur des disques-pirates tels « Wasp Man » avec Beefheart, en 1964, ou « No Commercial Potential ».

Après vint un petit intermède où il fut question des origines de F.V.Z. et qui nous valut l'hilarante diatribe sur Cucamonga : « Cucamonga et son « Cabernet » local, breuvage dont je ne redirai pas tous les ravages ! Cucamonga dont il sera la honte ! Cucamonga où il débauche son cadet, le petit Donald Van Vliet, un vrai artiste, lui, qu'il conduira aux portes de la folie pour mieux ensuite en exploiter le génie (« One Size Fits Ali » – 1975 – « Bongo Fury ») ! Cucamonga où il installe son studio d'enregistrement, que dis – je, l'antre où il concocte ses mélanges, où il prépare ses forfaits ! ... »

Ce n'est pas sans un soupçon de racisme qu'il fut ensuite question des « pachucos », les chicanas locaux. Puis le procureur, ayant terminé sa période d'échauffement, entra dans le vif; dans tous ses états, il fit un interminable et fastidieux rappel de toutes les tares de l'accusé: ses obsessions, ses frasques, sa mégalomanie, son goût du luxe, que dis – je, de la LUXURE ! Nous vous en épargnerons le détail; quelques faits cependant, rapportés au procès:

« Dès sa première œuvre, si l'on peut qualifier ainsi, dira le procureur, cet ignominieux tissu d'insanités, l'opérette « Freak Out ! » (« Et Que Ça Déconne ! » – 1966), Monsieur Zappa se moque outrageusement de la « Grande Société » (great society) libérale et avancée que préconise notre président (« Hungry Freak Daddy »), lequel il tournera en dérision, nommément, dès son second pamphlet au titre révélateur des conceptions anarchistes qui l'animent: « Absolutely Free » ( 1967).

Dans une insupportable diatribe dont seule une société qui refuse toute forme de censure pouvait permettre la publication, il s'en prend violemment à la politique raciale de notre état, toute tendue vers le maintien de l'ordre (« Trouble Every Day », la seule protestsong de toute l'euvre de Zappa).

A maintes reprises, il met en cause la sacrosainte institution familiale, présentant les parents attentifs que nous sommes sous un jour aussi indigne, lâche et stupide que dénué de tout fondement (« Mom & Dad », « Bow Tie Daddy » sur « We're Only ln lt For The Money » – 1968). Monsieur Zappa se fait sérieux et « culturel » en préconisant la lecture de « La Colonie Pénitentiaire » de Franz Kafka pour faciliter la compréhension de ses élucubrations. Mais c'est pour mieux étayer son hypothèse dont, MM. les jurés, vous saurez juger de la complète absurdité, de l'existence en Californie de camps de concentration qui auraient été construits pendant la seconde guerre mondiale, pour accueillir de dangereux ennemis venus d'Orient et que l'on reconvertirait en vue d'une solution finale au problème de la contestation et du nonconformisme (« Concentration Moon » sur « ... For The Money »).

Il s'en prend également à cette partie de notre jeunesse, heureusement nombreuse, qui ne suit pas ses exhortations à l'anarchie, voire à la révolte (« Absolutely Free » le morceau sur « ... For The Money ») et continue del respecter le travail (« Lumpy Gravy », l'album maudit – 1968 – « You Didn't Try To Call Me », version « Freak Out ! ») et les valeurs établies (« The Idiot Bastard Son » – « ... For The Money »), de porter des pyjamas pour dormir (« Pojama People » sur « One Size Fits Ali » – 197 5) et fête comme il se doit le deux-centième anniversaire des U.S.A. (« « Poofter's Froth Wyoming Plans Ahead » sur « Bongo Fury » – 1975) ... »

PERVERSION

Le procureur s'attarda ensuite sur les abus mégalomaniaques de l'accusé: « Mythomane notoire, l'homme se croit un grand chef d'orchestre et voit dans les orchestrations démesurées le déploiement suprême de son génie. D'abord cinquante-cinq musiciens pour une musique de film de série B; puis encore une cinquantaine pour former l'Abnuceals Emuukha Symphony Orchestra qui enregistre « Lumpy Gravy » que des plaisantins qualifieront d'album « solo ». Un pas est franchi quand, ayant fait la connaissance d'un brillant virtuose français du violon, il se met en tête de composer pour lui une œuvre d'envergure et réclame à la maison de disques de celui-ci quatre-vingtdix-sept musiciens pour l'exécuter, laquelle fait magnanimement l'effort de lui en accorder dix-huit (« Music For Electric Violin & Low Budget Orchestra » sur « King Kong » de J.-L. Ponty, composé, arrangé et produit par Zappa qui, pour de sombres raisons contractuelles, n'est pas mentionné comme producteur).

Enfin, en 1970, F.Z. parvient à convaincre Zubin Metha de diriger avec lui le Philharmonique de L.A. pour interpréter une première version de son œuvre bouffonne « 200 Motels », le 15 mai au Pavillon Auditorium (un pirate aujourd'hui introuvable). Il est dit que l'Association Nationale des Orchestres Américains ouvre alors une enquête et que Zappa doit répondre de l'usage de baguettes non réglementaires. Il réitérera cependant l'expérience à Londres en compagnie du Top Score Singers, du Classical Guitar Ensemble et du Royal Philharmonie Orchestra dirigé par Elgar Howarth. Depuis, il fantasme de façon non refoulée sur le Grand Wazou, l'orchestre idéal qu'il dirigerait sous le pseudonyme de Cletus Awreetus Awrightus et dont la composition est détaillée dans les notes du disque qu'il a consacré à exorciser sa frustration (« The Grand Wazou » – 1972). Aujourd'hui, il se promène avec un combo de douze personnes plus le « chef » (« Frank Zappa In New York » – 1978).

Mais de tous les griefs sur lesquels le producteur s'appuiera pour charger l'accusé, celui sur lequel il s'apesantira avec le plus de véhémence caustique, parce que le plus directement lié au principal chef d'accusation, c'est sans conteste la nature profondément perverse du personnage, ses incitations à la débauche, ses mœurs sexuelles débridées, sa totale absence de pudeur et ses sombres démêlés antérieurs avec la justice et les représentants de l'ordre.

« Que dire des antécédents moraux de l'accusé? A peine majeur et marié, il vit en communauté dans son propre studio d'enregistrement (le Studio Z) avec Jim Sherwood, surnommé « Motorhead », et deux personnes du sexe. A cette époque, il est arrêté une première fois par la brigade des mœurs de San Bernardino et condamné à dix jours de prison ferme et trois ans de garde à vue au cours desquels il n'est pas censé avoir de « relations » avec de jeunes célibataires de moins de vingt et un ans; et cela pour avoir conçu dans le studio « Z » et rendu publiques des bandes sonores « X » à caractère pornographique: Le fait d'avoir fréquenté la prison lui interdira d'ailleurs l'accès au service militaire et l'empêchera ainsi de devenir un homme à part entière, un vrai citoyen.

Quelque temps plus tard, il déclare publiquement à propos d'une fillette: « Elle n'a que treize ans, mais j'aimerais bien me la faire sur le gazon de la Maison Blanche » (« Brown Shoes Don't Make lt » version « Absolutely Free » non expurgée telle qu'elle figure sur « The Frank Zappa Songbook » – Vol. 1 – Munchkin Music). Même l'insistance véhémente de sa maison de disques ne parviendra pas à le faire démentir. A cette époque, le prévenu prend un malin plaisir à se faire photographier dans des situations scabreuses, voire scatologiques (un fameux poster qui orna un temps toutes les toilettes de la bourgeoisie libérale). Beaucoup plus tard, il dévoilera sa vraie nature dans une altercation avec un compagnon de rencontre qui se prétend bien innocemment le diable: FZ: « II n'y a que deux choses qui m'intéressent, et devinez lesquelles? » – « ??? Stravinski, et... » – FZ:« Non, il n'y a que deux choses: les TÉTONS et la BIERE ! »

Non content de réaliser des bruitages pornographiques, l'accusé, qui souffre entre autre des symptômes de la dramaturgie filmomaniaque, se complaît à mettre en scène des orgies en tout genre : entre les membres de son groupe (qui vivent entièrement sous l'emprise psychologique et matérielle de leur « patron », un « guru » démoniaque dans la tradition de ceux, tristement célèbres, qui ont fleuri en Californie il y a quelque temps), entre ces pauvres êtres qu'il maintient dans une aliénation totale et les groupies – une image de la femme qu'il a grandement contribué à populariser (l'opérette « Mud Shark/Dwana Dik/Happy Together » sur « Fillmore East » – 1971 – « 200 Motels », entre autres). » Ici, il faut revenir sur le témoignage de Suzy Creemcheese, qui fut un moment d'intense émotion: la jeune femme, prématurément vieillie, dit comment, dès sa tendre adolescence, Ruben Samo l'avait arrachée à sa famille et impitoyablement livrée aux turpitudes des Mothers qui en firent leur jouet sexuel, le souffre-douleur de leurs débauches, puis qui la contraignirent à jouer au cours de leurs exhibitions publiques le rôle d'« esclave d'amour » et de nymphomane affamée et goulue, particulièrement portée sur les artistes musiciens. Son calvaire dura jusqu'en 1969 où elle parvint enfin à s'enfuir des griffes de ce nouveau Marquis de Sade, marquée cependant pour le reste de son existence ...

Zappa ne s'en tint pas là; après avoir financé et promu les Plaster Casters (des groupies qui profitaient à des fins obscures de leurs relations avec les célébrités pour prendre des moulages de leur membre), il lança les G.T.O. (Filles Ensemble à l'Outrage), un groupe de libertines fanatiques de l'amour libre avec les musiciens dans toutes les variantes sodosadiques...

Dans l'œuvre pléthorique qui était alors autant mise en cause que son misérable créateur, le procureur se complut à choisir de nombreux exemples d'obscénité non déguisée; parmi les titres les plus suggestifs, on cita: « Take Your Clothes Off When You Dance » (Déshabillez-vous pour danser, une vieille obsession de notre homme – « Absolutely Free »), « Nos Rapports Bizarres » (« Our Bizarre Relationship » – « Uncle Meat » – 1968), « Wou Id You Go Ali The Way? » (« Est-ce Que tu Iras Jusqu'au Bout? » – « ... For The Money »), la célèbre « « Penis Dimension » (« 200 Motels »), « Dirty Love » (« Cet Amour Graveleux ») et « Dinah Moe Humm » (« Mon Truc En Plume » – tous deux sur « Overnite Sensation » – 1973), « Carolina Hard Core Ecstasy » (« Bongo Fury » – 1975), « Titties & Beer » (« Des Tétons et Une Bière ») et « I Promise Not To Come ln Your Mouth » (« Je Promets de ne Pas Venir Dans ta Bouche », la relation des fantasmes engendrés chez Terry Bozzio, l'actuel batteur des Mothers, par la vision d'une photo particulièrement « mignonne » de Punky, le guitariste du groupe Angel – « FZ In New York » – 1978).

A ce propos, l'avocat de la défonce fit l'objection que si la publicité ambiante n'était pas si permissive, bien des jeunes n'auraient pas même l'idée de moult abus. En ce qui concerne « Dinah Moe Humm », la défonce objecta qu'un tel texte valait les plus beaux passages du Divin Marquis, et qu'une société qui acceptait des uns certains écarts sous couvert de culture ne pouvait faire grief aux autres de tenter de les actualiser. (Quelques applaudissements.) Quant à « Would You Go All The Way », l'avocat précisa que le refrain ajoutait « for the U.S.A. », ce qui enlevait à la chanson toute connotation sexuelle, et il en conclut, s'adressant personnellement au procureur, qu'il fallait bien avoir soi-même certains penchants (non qualifiés) pour aller chercher dans une chanson aussi bien pensante une allusion au moindre vice. Il y eut des rires, et le président menaça de faire évacuer la salle.

Le procureur reprit et conclut son réquisitoire en redisant que le ci-devant Francis Vincent Zappa n'était pas seulement un dangereux obsédé sexuel, récidiviste qui plus est, mais encore un anarchiste et un nihiliste sans foi ni loi, irrespectueux de toutes les convenances sociales, de toutes les règles de bienséance qui cimentent notre société et régissent harmonieusement notre vie quotidienne, et que pour toutes ces raisons il ne méritait aucune clémence, mais un châtiment exemplaire ... L'audience fut alors interrompue pour permettre aux nombreux journalistes présents d'aller s'en jeter un petit.

MANIFESTATION

Reprise de la séance pour la plaidoirie de l'avocat. Un trémolo dans la voix, il dira l'enfance mouvementée de son client né dans les années d'angoisse généralisée, à Baltimore, quatre jours avant la Noël 1940, de parents d'origine grecque et sicilienne, deux pays alors en guerre l'un contre l'autre; ballotté dans sa tendre enfance de ville en ville, de San Diego, puis Monterey à Lancaster dans le désert Mojave, où ses parents finissent par s'établir ...

« Messieurs les jurés, imaginez cette frêle âme à la sensibilité aiguë, en proie à l'influence pernicieuse de personnalités aussi corrompues que ce Donald Van Vliet qui se prétend la réincarnation d'un peintre hollandais du XVIII" siècle et se fera appeler plus tard Capitaine Cœur de Bœuf; imaginez ce consciencieux étudiant de I'Antilope Valley High School puis du Technical lnstitute de Cucamonga, où habite ledit Van Vliet, attiré par celui-ci dans le milieu perverti des artistes musiciens, peut-être enrôlé de force dans la band(e) de Joe Perrino & The Mellotones, dans les Blackouts, puis dans les Soots. Il est alors submergé par la médiocrité ambiante, celle de ses camarades qui errent comme des navires à la dérive (cruisin') en quête d'un hamburger, celle des « oeuvres » musicales à succès qui ne font qu'effleurer les vrais problèmes: le désir (platonique), la conquête du grand amour, le bonheur ...

Dans un accès de désespoir, F.V.Z. se tourne vers une avant-garde culturelle dévoyée : des fous notoires que les snobs affectent de prendre pour des génies: un certain Varese, immigrant qui parasite l'orchestre avec des machines aux bruits insupportables, John Cage, ermite qui fait composer ses morceaux par les oiseaux et lui inspirera des théories de « cyclophonie » qu'il développera au cours d'une historique émission de TV où il interprétera en compagnie d'un certain Steve Allen son concerto pour bicyclette et pompe à vélo; des nègres drogués comme cet Eric Dolphy ou ce Coltrane qui paieront de leur vie leurs égarements. Le petit Frank n'a alors que vingt ans, il restera marqué par ces expériences hallucinantes; mais il aurait certainement sombré s'il ne s'était alors marié. (Sifflets dans la salle.) Car, MM. les jurés, ne doit-on pas à sa tendre épouse qu'il rentre dans le droit chemin et passe plusieurs mois à jouer de la musique d'ambiance dans une salle de restaurant et à composer de grandioses musiques de film: d'abord « The World Greatest Sinner » (Zappa – « C'était complètement pourri ! »), puis, en compagnie de son propre professeur d'anglais (no fooling !), « Run Home Slow » dont les droits lui permettent de s'offrir un véritable studio trois pistes, où il pourra s'adonner aux joies du « jingle » publicitaire... »

C'est ce moment que, de son box, l'accusé choisit pour, d'un de ses célèbres et énigmatiques gestes de la main, briser la glace. Les foules hurlantes qui jusqu'à présent se pressaient aux portes du tribunal en profitent pour faire irruption dans la salle au cri de « Viva Zappa ! R.P.R./F.H.A.R. même combat ! » Le président, prudent en cette périôde de campagne, préfère suspendre l'audience. Affaire à suivre. – Un reportage de JEAN-MARC BAILLEUX.


1. R.P.R. - The Rally for the Republic (French: Rassemblement pour la République; RPR), was a Gaullist and conservative political party in France.
F.H.A.R. - The front homosexuel d'action révolutionnaire (FHAR) was a loose Parisian movement founded in 1971.

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