Zappa chef d'orchestre

By ?

Best, November 1972


Aucun groupe de rock n'aurait pu vraiment faire bonne figure après Beck, aussi était-ce une bonne chose qu'ensuite vienne Zappa et son grand orchestre électrique de vingt membres. Guère de comparaison à faire, Zappa et Beck étant dans des trips musicaux radicalement différents, et le seul point commun qu'ils aient jamais possédé est d'avoir tous deux eu, à des époques différentes, Aynsley Dunbar comme batteur.

Depuis près de deux ans, Zappa semblait se consacrer de plus en plus, avec sa dernière édition des Mothers, à ses numéros satiriques, et oublier les prétentions de compositeur et de musicien qui nous avaient valu l'inoubliable « Hot rats ». Cette évolution, que beaucoup commençaient à trouver regrettable, malgré certaines excellentes choses qu'on lui devait, culmina avec un album « live » sans grand intérêt, « Just another band from L.A. ». Et puis vint l'accident (attentat ?) que l'on sait, Zappa immobilisé et Kaylan, Volman, Preston et Dunbar qui s'en vont de leur côté. Notre Zappa en profite pour revenir à la musique « pure » et enregistrer, dans une chaise roulante, « Waka Jawaka », qui n'est absolument pas une compilation de fonds de tiroir des séances de « Hot rats », mais bien du Zappa tout frais. Quoi qu'il en soit, c'est un disque assez déroutant, complexe, brillant, par moments très free, mais aussi souvent froid, et on ne sait pas toujours ce qui l'emporte de l'exercice technique ou de la création musicale. Pourtant il faut bien se rendre à l'évidence qu'il est le premier témoignage discographique du stade actuel de l'évolution de Zappa, et l'orchestre qu'il vient de former en est la continuation logique.

Comme pour le confirmer, ils débutèrent sur « Big swifty », qui est le titre principal du disque. Sans parler des problèmes d'amplification que cela pose, qui firent que le groupe commença avec une heure de retard. Un orchestre de vingt membres tous directement amplifiés, installés devant leurs partitions (eh oui !) est quelque chose d'assez impressionnant, d'autant plus que certains d'entre eux jouent jusqu'à sept instruments.

On retrouve bien sûr dans l'affaire le fidèle Ian Underwood (orgue et synthesizer) ; quatre des musiciens présents sur « Waka Jawaka » : Marquez, Shroyer et Altschul, tous trois membres d'une section de douze instruments à vent, Tony Duran (slide guitar) ; quatre membres du Los Angeles Symphony Orchestra, dont deux percussionnistes et un violoncelliste, le batteur Jim Gordon (ex-Traffic et Derek and the Dominoes), un bassiste, et bien sûr, Zappa lui-même à la guitare.

« Big swifty », dont la forme s'apparente à un jazz assez prévisible, ne fut qu'une mise en train pour un morceau en trois mouvements de facture beaucoup plus audacieuse, intitulé « The adventures of Greggery Peccary », pour lequel Zappa troqua sa guitare pour une baguette de chef d'orchestre. Mis à part la complexe histoire, typiquement zappaesque, qu'il est censé illustrer et que Zappa nous expliqua avant de commencer, ce fut le morceau le plus intéressant, parce que le plus fouillé, mais aussi le plus déroutant. Il fut suivi de « Think it over », dont l'aspect le plus remarquable fut les interventions de Underwood au synthesizer, et « Dog meat », une combinaison de deux thèmes de « Uncle Meat ».

Il est encore difficile de porter un jugement précis sur la valeur de cette nouvelle entreprise de Frank Zappa. Il a dans cette affaire des prétentions qui dépassent largement tout ce qu'il a fait à ce jour, et qui atteignent des domaines où il se trouve confronté à des génies aussi différents que Miles Davis ou Carla Bley. J'aimerais avoir vu l'orchestre dans d'autres conditions, confortablement assis dans une salle de concert à l'acoustique parfaite, sans que mon attention ne puisse être distraite en rien, et surtout sans autre groupe à l'affiche.

Ces réserves faites quant aux conditions de concentration et de réceptivité dont je bénéficiais et à l'abord difficile de la nouvelle musique de Zappa, ce premier contact me laissa sur une impression mitigée. Les moments d'éclat alternèrent avec des passages à vide, et on a souvent le sentiment d'une rigidité trop marquée et, comme dans « Waka Jawaka », d'un formalisme assez froid. Mais comme la première apparition publique de l'orchestre remontait à seulement une semaine plus tôt (à l'Hollywood Bowl), et sa formation à deux mois, on peut logiquement espérer qu'il en est encore au stade de la mise en place, d'autant plus que de multiples possibilités de modification ou d'extension de la formation sont envisageables.

Zappa, en tout cas, n'a pas fini de surprendre, la preuve est faite qu'il a plus d'un tour dans son sac à musique ...