Zappa à Montreux

By Christian Gallay

Best, February 1972


Le samedi 4 décembre, la petite ville de Montreux (20.000 habitants) se trouve hissée au rang des grands centres européens qui accueillent la tournée de Frank Zappa et les Mothers of Invention. Les portes du Casino s'ouvrent bientôt, mais ce sera pour la dernière fois.

A l'entrée, dans la bousculade, dans la course aux premières places, on distribue des prospectus. On y dénonce des affaires de drogue qui se sont passées en Suisse, s'appuyant sur l'argumentation de la campagne qui vient d'être lancée par Frank Zappa, Led Zeppelin, Yes, David Crosby, Family, Curved Air, John Sebastian, Faces et James Taylor, contre la drogue (une petite note précisait qu'il serait interdit de fumer et d'enregistrer).

Le spectacle commença avec très peu de retard, d'ailleurs Claude Nobs, directeur du Casino, s'employa à tuer le temps dans un de ses petits numéros habituels : il salua le public, exposa (vainement) les programmes à venir, et annonça la présence dans la salle de Deep Purple, venu spécialement à Montreux pour enregistrer leur prochain disque ; et tout ce discours en trois langues différentes. Dans la salle, 2.000 personnes patientaient.

Sur scène entre Don Preston, familier déjà de vieille date des Mothers. Il n'est plus au piano comme jadis, son arme est moderne: c'est dans un solo de synthétiseur que Don Preston essaie de nous noyer pendant quelques minutes. Bientôt, des exclamations chaleureuses, mais jamais fanatiques, accueillent Aynsley Dunbar. Ce dernier s'installe à la batterie et ajoute à la magie des sons une charpente solide, un peu lourde, mais tellement efficace. De nouvelles exclamations, discrètes encore, vont saluer Jim Pons, le bassiste, l'éternel Ian Underwood à l'orgue, les chanteurs gargantuesques, Howard Kaylan et Mark Volman et enfin, le génial Frank Zappa. Le flot de notes, les effets sonores, les cascades rythmiques et la folie des vocaux nous emmènent dans l'univers zappaien. Univers bizarre peut-être ! (comme semble l'indiquer la marque de disques dirigée par Zappa).

Devant nous s'étale une grande fresque musicale où sont assemblés plusieurs genres très différents par un système qui rappelle presque le collage en peinture. Les sources sont très diverses ; on puise dans le rock, la musique contemporaine, le folklore, le blues, le style fanfare, ou même dans les tyroliennes.

Mais le génie de Zappa dépasse la simple transposition, c'est une transformation, une parodie, une métamorphose burlesque. Souvent, le public sourit, rit et même éclate de rire. Le rire occupe une grande place dans la musique des Mothers, mais c'est un rire trop forcé pour ne pas être amer. Le gag est promu au rang de l'art ; la farce est étudiée, travaillée à son maximum. Rien n'est laissé au hasard. L'improvisation existe, mais elle est préparée bien loin de la confusion.

Zappa, le faciès tourmenté, l'œil noir mais les gestes souples, orchestre tout cela en maitre : il fait des signes, donne le départ, règle les changements de rythme. Lui· même se penche sur sa guitare, essaie d'en tirer la meilleure substance musicale.

La pédale wah-wah se met en marche, elle est utilisée à la perfection. Mais jamais nous n'avons de grandes envolées comme dans « Chunga's Revenge ». Le plus grand rôle est laissé aux deux chanteurs aux torses grassouillets, mais à la voix phénoménale. Tous deux passent du grave à l'aigu avec une aisance particulière. Ils n'ont bien entendu pas trahi la tradition des Mothers et se livrent d'une voix nasillarde et « fofolle » à des élucubrations qui rappellent les chansonnettes des rondes enfantines. La batterie d'Aynsley Dunbar fait corps avec cette musique, et c'est un des batteurs qui a le mieux su assimiler, digérer le style des Mothers.

A 16 h 15, Zappa et son équipe jouent depuis une heure et demie. On s'arrête une minute, on fume une cigarette et l'on va repartir. Un bruit de sirènes retentit, personne réagit, on regarde les Mothers, on attribue ce son au synthétiseur. Pourtant, dans le fond à droite, on s'agite, un peu de fumée s'échappe du plafond. Zappa, calmement, prend le micro et déclare en anglais : « C'est un incendie, ouvrez les portes de secours, ne perdez pas votre calme ». Dans la salle, on commence à réagir, les baies vitrées sont ouvertes ou brisées. On sort de tous les côtés. En quelques minutes, la salle est évacuée. Toutes ces ouvertures ont fait un appel d'air et, malgré les extincteurs, attisent le feu. En dix minutes, le Casino est couvert de flammes, une fumée noire monte dans le ciel. Le casino est complètement détruit.

Christian Gallay


Montreux espoir!

Comme vous l'avez certainement appris, le Casino de Montreux a été entièrement détruit par un incendie, le samedi 4 décembre, lors du concert de Frank Zappa. Ce feu, semble-t-il, a été bouté par un spectateur inconscient qui est actuellement activement recherché. Grâce au calme du public, au sang-froid de Frank Zappa et à la parfaite organisation, tout le monde a pu être évacué sain et sauf en trois minutes et demie. Il est difficile de dire actuellement si et quand toutes les conditions pourront à nouveau être réunies pour organiser des concerts pop à Montreux. Pour l'instant, seules les dates du Festival de jazz soht fixées du 16 au 29 juin 1972. Il se déroulera au Pavillon de Montreux. Les problèmes à résoudre sont extrêmement nombreux et il a été évidemment impossible de maintenir Je concert de Deep Purple prévu pour le 18 décembre. Plus que jamais, votre appui et votre sympathie nous sont nécessaires. Bien entendu, vous serez tenus régulièrement au courant sur ce qui se passera à Montreux et peut-être à très bientôt.

Merci encore.

L'Office du Tourisme de Montreux