Zap is back

By Paul Alessandrini

Rock & Folk, January, 1971


C'était un retour, un grand retour à plus d'un titre. Dans cette aventure zappienne qui s'enfonce maintenant déjà dans l'histoire, il y a comme deux étapes musicales qui se dessinent, celle qui couvre une période commencée avec « Hot Rats », et celle qui semble s'être terminée avec « Weasels ripped my flesh ». Ce troisième temps zappien qu'il nous était donné de découvrir au Gaumont Palace [1] semble une synthèse des deux précédents; c'est-à-dire que l'on retrouve tout le découpage instrumental, les vocaux des premiers albums comme « Freak out » ou « Absolutely free », et des partis plus rigides, plus techniques, plus purifiées comme les dépeignent efficacement « Hot Rats ».

Il faut prendre conscience de la dimension de l'expérience que les exTurtles Mark Volman et Howard Kalen accentuent en introduisant le gag. Un retour aussi très marqué au monde caricatural de « Ruben and the Jets », cet album méconnu qui plongeait dans l'histoire du rock blanc des années 50, « à usage » des teenagers boutonneux. Une préfiguration de cette œuvre jouée et filmée: « Two Hundred Motels », qui doit suivre le tout dernier album, « Chunga's Revenge », qui, déjà, portait en lui ce désir d'englober à un degré supérieur, pour créer une nouvelle dimension, la satire, la caricature, et une grande précision technique, le jeu bluesy ou free des instruments.

Un retour enfin au spectacle pour dépasser la notion de groupe instrumental dans un désir d'intégrer la dérision du « théâtre de gestes » irrévérencieux pour la notion de musique pop et son star system clinquant et pailleté; mais aussi obscène ou grotesque: le masque d'une certaine Amérique.

Un goût du monstrueux pervers dans l'annexion de toutes les outrances de la musique populaire blanche américaine, la fadaise de ses mots et de ses mélodies, portés ici à une unité supérieure, acquérant ainsi une autonomie créatrice qui dépasse le simple stade de la caricature en soi. Il s'agit de création, d'une perfection dans l'unification d'une suite d'impuretés, intégrées à une suite musicale: une tentative audacieuse qui fût mal comprise en son temps et qui, si elle semble être mieux acceptée, n'est peut-être pas mesurée à sa véritable dimension.

Ainsi de ces thèmes d'« Absolutely free », « Call any vegetable », et « Invocation and ritual dance of the young pumpkin », comme tout ce monologue sur un ton de docte conférencier, embrassant toute la culture occidentale pour la résumer en deux mots: muffin et pumpkin, avec, comme background les vocaux « débiles », symbole de l'univers musical et de la culture du pauvre que dispensent les media (radio, TV). De même avec « Peanuts [Penis] Dimension » ou « Mother people ».

Même dans les parties les plus instrumentales, Zappa saura, en chef d'orchestre suprême, exiger l'introduction du rire, du cri qui dénature savamment la précision et la cohérence harmonique obtenues: désir de briser le sérieux, la performance instrumentale, de renverser à chaque instant la proposition.

Le flux et le reflux incessant, incandescent que provoqua le violon de Jean-Luc Ponty, qui s'était joint à l'orchestre en deuxième partie, sec, nerveux, strident, violemment heurté et qui s'aventura sur le chemin d'une liberté acoustique totale, ne fut pas épargné. Ainsi nous furent refusés les longs vertiges électro-acoustiques ou bluesy, à cause des ruptures constantes, redéfinissant, restituant, déformant les climats sonores à peine nés.

Un parti pris musical qui entraine des « variations » sur' les thèmes avec des collages dans une sorte de pot-pourri de motifs dérisoires: charleston, rythmes afro-çubains, bastringue, rock. Il n'y eut guère place pour l'élaboration de morceaux pop classiques avec exposition du thème, improvisation et rencontres des sonorités sur un même schéma, mis à part « King Kong », avec un Jean-Luc Ponty transfiguré. Quelques concessions du maître d'oeuvre pour un court solo de George Duke au piano électrique, d'Ian Underwood au saxophone soprano électrifié et d'Ansley Dunbar à la batterie. Pour sa part, Zappa utilisa peu la pédale wah wah.

On peut regretter cette coloration sonore que donnaient les cuivres amplifiés, et surtout Ian Underwood, au saxophone tenor, dans les premières expériences zappiennes. Mais comment pouvoir restituer tout l'univers déjà dessiné par la douzaine d'albums de Zappa en un soir, retrouver les accents d'un délire évanoui mais remplacé par une nouvelle dimension tout aussi impressionnante, qui sait bien encore avec les acquis passés construire un monde de la dérision, subversif et violent, mais qui est aussi la poésie d'une beauté étranglée et violée pour être rendue à la vie.

- PAUL ALESSANDRINI.


1. This article is reviewing the Mothers Of Invention concert at Gaumont Palace, Paris, on December 15, 1970.